Articles avec #cuisine tag

Publié le 24 Décembre 2023

 Les moules

 

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Publié le 17 Décembre 2023

 Poulet bohémienne

 Un article très intéressant sur Robert J. Courtine et Jean-Albert Foëx
Merci Frédérique !

 

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Publié le 6 Mars 2022

Comme sur une île… ou l’art de magnifier ce que l’on a…
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » A.Lavoisier  -- de Jacky Durand -- Libération
لا يضيع شيء ، ولا يتم إنشاء شيء ، ويتحول كل شيء


Malgré la législation fournie et de nombreuses initiatives citoyennes, ce phénomène persiste en France. 
Il y a les mots gravés dans le marbre législatif mais surtout l’action inlassable des acteurs de la bataille contre la pauvreté et la précarité qui contribuent largement à lutter contre le passage aux ordures de denrées périssables.
Un exemple : depuis plus de trente-six ans, les Banques Alimentaires ont pour mot d’ordre la lutte contre le gaspillage alimentaire. Ainsi, 67% des approvisionnements proviennent de produits sauvés de la poubelle : outre la grande distribution, l’industrie agroalimentaire et les producteurs agricoles participent en donnant des articles présentant des défauts d’emballage ou d’étiquetage, des fruits et légumes mal calibrés ou des surplus.
Les restaurateurs ne sont pas en reste : la Tablée des chefs a d’abord vu le jour au Québec au début des années 2000 puis a migré en France en 2013 fort d’un constat accablant : lors des pince-fesses avec buffets garnis, 10% des canapés au saumon, petits fours et autres pizzas portions finissent à la poubelle. Elle s’est fixé deux objectifs : nourrir et éduquer. Concrètement, cela se traduit par la facilitation du don alimentaire par les entreprises, les professionnels de l’hôtellerie-restauration, lors d’événements où l’on guinche et où l’on mange. La Tablée des chefs réalise également des programmes d’enseignement culinaire et de sensibilisation à une alimentation saine, dans des collèges en réseau d’éducation prioritaire et des maisons d’enfants à caractère social.
Les chef⋅fe⋅s de demain sont mis à contribution puisque du 14 au 25 mars, 50 écoles de cuisine et lycées hôteliers cuisineront plus de 10 000 repas.
Allez, encore une belle initiative pour la route : depuis le premier confinement, des agriculteurs du Nord viennent vendre leurs pommes de terre en direct en banlieue parisienne. Cela a permis d’écouler les tonnes de tubercules qui ne trouvaient plus preneurs quand les restaurants et les cantines étaient fermés. A 6 euros le filet de 15 kilos, c’est la démonstration que les circuits courts peuvent satisfaire consommateurs et producteurs en luttant contre le gaspillage.

On pourrait ainsi multiplier l’évocation sur le sujet de centaines de projets, programmes, applications antigaspis pour mieux gérer son frigo. Mais reste une évidence incontournable : aujourd’hui, on estime que 17% de la production alimentaire mondiale est gaspillée (11% chez les consommateurs, 5% dans les services de restauration et 2% chez les détaillants). En France, sur l’ensemble de la chaîne de production, 10 millions de tonnes d’aliments sont jetées par an. Chacun de nous balance environ 50 kg de nourriture sur une année lors des repas à la maison, au restaurant ou à la cantine, soit l’équivalent d’une centaine de repas. Les lois sont évidemment nécessaires mais elles ne peuvent être efficaces que si le consommateur fait sa propre révolution dans ses cabas et devant ses fourneaux. Et c’est en regardant par le petit bout de la lorgnette que l’on constate que ce n’est pas si compliqué de lutter conte le gaspillage alimentaire.


A l’heure où l’on écrit ces lignes, nous voilà depuis une dizaine de jours sur une île à 15 kilomètres de la terre ferme. Une centaine d’habitants l’hiver et une épicerie ouverte trois heures, quatre jours par semaine, qui s’oriente de plus en plus vers la vente en vrac et le bio, sans emballage inutile. On y trouve le nécessaire, le gourmand mais sans opulence sachant que les prix sont majorés par le coup du transport maritime. Le jeudi, les habitué⋅e⋅s du marché de la côte prennent le bateau pour aller s’y ravitailler. Donc, il y a de quoi bouffer et même de gueuletonner à condition de s’organiser pour remplir la cambuse et organiser ses menus en recyclant jour après jour ses restes.
Mais le plus important est en soi : la possibilité d’une île vous oblige à booster votre logiciel antigaspi : ici, on ne jette pas l’eau de trempage des Lingots du Nord, on s’en sert pour arroser le petit carré d’herbes aromatiques sur la restanque. Car l’eau est d’autant plus rare qu’il a très peu plu cet hiver. On l’utilise pour les tâches ménagères (bicarbonate de soude et vinaigre blanc) et la toilette baptisée «la douche du légionnaire», soit 1,5 litre d’eau dans le lavabo. Quant au reste des haricots cuits, il passe dans la soupe du soir avec un fond de pot de pesto pour improviser un minestrone.
Si on vous cause fayots, c’est que l’on mesure plus que jamais ici l’évidence de l’association légumineuses (protéines végétales) et céréales (riz, boulgour, pâtes…) bonne pour la carcasse et la planète. Sans pour autant renoncer au filet mignon ramené de la côte avec les olives à la grecque, les câpres et les tomates séchées qui feront une délicieuse salade avec les reliquats de céréales.

Dans ce bout du monde, la confection du pain rythme les aubes. Sans doute que l’amateurisme du nôtre ferait se retourner le célèbre boulanger Lionel Poilâne (1945-2002) dans sa tombe, mais sa pâte sert à tout : pizzas, fougasses, chaussons garnis de restes de légumes, de viande… Et il est impensable de jeter le moindre quignon rassis que l’on grille au petit-déjeuner et sur lequel on étale, selon l’humeur, une lichette de beurre ou cet or levantin qu’est le zaatar (épice libanaise) avec un peu d’huile d’olive. Sur cette île où la terre est parcimonieuse (la moindre épluchure fait compost), sur la roche aussi dure que dorée, où le vent est pugnace, la lutte contre le gaspillage alimentaire est d’autant plus indispensable que l’on peut difficilement viser l’autonomie en cultivant ses propres légumes. Ce que n’empêche pas de tenter des expériences où là encore il est question de recyclage : on va ainsi essayer de faire pousser des haricots en semant leurs grains dans les tubes en cartons des rouleaux de PQ plantés dans la terre pour faciliter leur enracinement dans le sol. En attendant, on guette la pousse de l’ail triquètre sauvage qui fera un pesto d’enfer.

 

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Publié le 21 Février 2022

Gastronomie

Comme un poisson dans l’aube

 
Tu mitonnes !
Jacky Durand
Libération du 17 février 2022

Illustration de Emmanuel Pierrot
 

Chaque jeudi, réveil des papilles et passage en cuisine. Aujourd’hui, on se lève de bonne heure et au bout du monde pour faire le pain et mariner la bonite.
Longtemps, on s’est couché tard et levé au plein midi. Vie de bouclage et d’après-bouclage. Maquette papier et tournées de houblon. Près d’un quart de siècle. A cette époque, on n’avait que faire du silence. Souvent on le méprisait. Au mieux, on l’ignorait en arpentant autour de minuit «la vis» de l’ancien parking de la rue Béranger, qui était devenu le siège parisien de Libération en 1987.
Et puis un jour, le silence nous a rattrapés dans un immense besoin de solitude et au début, sans s’en rendre compte, on s’est mis à se lever tôt. Il faut dire que la fréquentation de plus en plus assidue de nos petits bouts du monde nous a grandement aidés. Tôt comment, vous allez dire ? Forcément dans la nuit. Où ? Partout. A Paname sur le coup des trois heures du matin lors du premier confinement où l’on sirotait le mug de café soluble au-dessus des toits de Paris avant d’aller se planter au beau milieu du boulevard Beaumarchais, désert des Tartares urbains d’où l’on entrevoyait le feu follet des ambulances. Puis on s’en retournait dans notre perchoir près de la Bastoche en attendant le premier chant du merle au bout de la nuit. Mais en dépit du cri de l’oiseau, là encore on était dans la quiétude car notre silence à nous, c’est celui où les hommes se taisent.
On le savoure dans l’épaisseur des forêts vosgiennes, entre l’humus et le grès, non loin d’un étang serti dans une tourbière avec pour tout abri une maisonnette de bois où l’on rêve de raviver la braise de l’antique cuisinière avec un rondin de sapin en pleine nuit. Mais plus que tout, on aime le silence d’une île en Méditerranée. Là-bas, à une quinzaine de kilomètres de la côte où les lumières de la ville font une guirlande vacillante. Ici, point de lampadaires ou de voitures pour déchirer la fin de la nuit. Seuls le mistral et le ressac de la mer soliloquent, métronomes de la nature, ignorant superbement l’homme. Le silence de la montagne vous enveloppe. Celui de l’île vous laisse entendre que vous êtes à poil, qu’il faut se démerder tout seul. La tentation peut être grande de s’en remettre à l’addiction à la 4G des réseaux sociaux (eh oui, elle est arrivée…) ou des boissons enivrantes. Ou les deux à la fois. On sort sur la restanque pour aspirer une première bouffée d’air qui vous laisse les lèvres salées en envoyant un baiser à la lune pleine.
C’est l’instant de la naissance du pain. La farine, la levure, le sel, l’eau tiède. Pétrir encore et encore alors que monte ce parfum unique de la pâte qui rappelle celui des corps après l’amour. On la couvre délicatement avec un torchon de cuisine. Aura-t-elle commencé à lever quand surgiront les prémices de l’aube ? On met à tremper les petits haricots blancs qui feront le repas de midi. Une cuisson aussi dépouillée que sincère : une gousse d’ail et un brin de romarin du maquis avec au final, quelques grains de gros sel et un filet d’or d’huile d’olive. Uber et Deliveroo peuvent aller se faire foutre. On mangera bien meilleur à midi. Midi, façon de parler car on n’a pas d’horaires sur une île si ce n’est ceux du bateau qui rallie la côte. Tout à l’heure, on le verra poindre au loin, petite coque blanche dans les flots.
Un peu avant 7 heures, l’aube pointe, accentuant la colère de la mer qui gémit son écume blanche. A l’est, le ciel s’orange lentement, strié de délicats traits de nuages que l’on dirait dessinés à la plume. Nos songes nous emmènent vers le Levant, le cul de la Méditerranée, quelque part entre Tyr (Liban) et Fethiye (Turquie). On songe à un petit matin de thé noir et fort, après une cuite mémorable au raki, sur le pont d’Istanbul enjambant la Corne d’Or.
On divise la pâte à pain en deux pâtons que l’on voile à nouveau avec le torchon. Puis on monte sur la corniche. Dans le petit jour, on distingue les crassulas en fleurs et le jaune palissant des mimosas. Les pas crissent sur la terre avant de s’enfoncer sur un sentier incertain entre les rochers et de grosses racines. On songe aux mots de Henry David Thoreau dans Walden (1) : «Alors que je marche le long de la rive rocailleuse de l’étang, en bras de chemise bien que le temps soit frais, nuageux et venteux, et qu’autour de moi rien n’attire particulièrement ma vue, tous les éléments m’apparaissent extraordinairement familiers.»
Le vent s’époumone dans le maquis en pente. Et soudain, la mer et le ciel nous crachent leur aube en plein visage en un camaïeu de bleus qui vont de la teinte métallique des flots en d’infinies nuances de bleus pastel du ciel. Il faut encore enjamber les mamelons de la roche fauve et ferrugineuse de l’île pour atteindre notre ultime bout du monde, une crique jonchée de bois flottés où les eaux claires sont tapissées de minuscules bigorneaux. Les cormorans nous offrent un élégant ballet face à un bateau de guerre qui n’en finit pas de rouiller. Une brume légère caresse la côte et ses crêtes sombres. En arrière-plan, comme un mirage, on aperçoit une cime enneigée. Pour rien au monde, on échangerait ce bout du monde.
La lune tient encore tête au jour quand on enfourne notre pain. Il a été aussi paresseux à lever que l’on est piètre mitron. Mais il fera tout de même un petit-déjeuner acceptable avec l’ensorcelant miel corse offert par l’ami Nordine. Plus tard, dans la matinée, on frappe à la porte pour nous tendre deux belles bonites. En dépit de conseils experts, on est aussi maladroit qu’au fournil quand il s’agit de lever les filets carmin de ce poisson cousin du thon. Qu’importe, on étale sa belle chair dans un plat à four. Un jet copieux de sauce soja, un autre d’huile d’olive, le jus d’un citron vert, un pouce de gingembre, trois gousses d’ail émincées, une branchette de romarin. Le tout marine une grosse heure avant d’être enfourné à 180 degrés. La durée de la cuisson est affaire de goût. Mais vérifiez-la régulièrement au bout de dix minutes car le poisson doit rester tendre et ne pas sécher. Servez avec du riz, des pommes de terre vapeur. Vous pouvez évidemment varier cette marinade et l’appliquer à d’autres poissons.
Chaque jeudi, réveil des papilles et passage en cuisine. Aujourd’hui, on se lève de bonne heure et au bout du monde pour faire le pain et mariner la bonite.

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Publié le 15 Février 2022

Compote en préparation

Compote en préparation

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Rédigé par HODIE

Publié dans #La flore, #La vie locale, #Ile du Levant, #Cuisine

Publié le 3 Novembre 2021

Rédigé par HODIE

Publié dans #Coupures de presse, #La faune, #Sous l'eau, #Méduses, #Cuisine

Publié le 31 Octobre 2021

LA MURÈNE DU BATEAU IVRE
« (…) Les yeux mi-clos, Rimbaud scrute l’or des rochers et le vert du maquis de l’île qui se rapprochent doucement tel un mirage posé sur l’onde bleue.(…) »
une chronique de Jacky Durand
 
Suite et fin

Après une nuit à contempler la voie lactée qui semble si proche dans ce haut lieu de solitude, sans éclairage public, ils vont relever leur piège. Jimi tire sur la corde avec précaution. Sans impatience. Il savoure la résistance de l’eau qui autorise tous les espoirs sur la présence ou non de poisson dans la nasse. La bête apparaît soudainement au fond du piège, aussi monstrueuse que fascinante : la murène à liseré jaune, long serpent à la peau d’or et de brun qui se tord frénétiquement en s’enroulant dans les mailles du filet. Elle pointe sa gueule cauchemardesque aux deux mâchoires terrifiantes (des plongeurs y ont laissé des bouts de doigts) qui engloutit les petits poissons, comme en témoigne les restes de l’un d’entre eux au fond de la nasse. Même Jimi recule à la vue de ce serpent de mer dont les Romains étaient si friands qu’ils les engraissaient dans des viviers d’eau marine. On rapporte que les plus cruels les nourrissaient en leur jetant leurs esclaves et leurs ennemis.

Rimbaud a beaucoup bataillé avec la murène avant d’en faire des darnes à la chair nacrée. Il les a mises à mariner avec de l’huile d’olive, du citron, de l’ail et du romarin sauvage. Il les pose sur les braises douces d’un feu d’arbousier. Lui et le chien hument les parfums, les goûts de la mer, du maquis qui montent jusqu’à leurs naseaux. Rimbaud ferme les yeux en écoutant le murmure du ressac. Lui reviennent des vers du Bateau ivre :
«Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.»

On ne vous souhaite pas de batailler avec une murène. Mais la préparation de Rimbaud (marinade puis cuisson au barbecue, à la plancha et au four) vaut pour d’autres poissons comme le congre et la dorade. »

Jacky Durand

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Publié le 31 Octobre 2021

LA MURÈNE DU BATEAU IVRE
« (…) Les yeux mi-clos, Rimbaud scrute l’or des rochers et le vert du maquis de l’île qui se rapprochent doucement tel un mirage posé sur l’onde bleue.(…) »
une chronique de Jacky Durand
Avec la complicité iconographique de Emmanuel Pierrot

« Chaque jeudi, réveil des papilles et passage en cuisine. Aujourd’hui, 20 000 mets sous les mers avec un poisson aussi monstrueux que fascinant et une recette de mulet sauce chermoula à la marocaine.

Rimbaud vient de prendre ses quartiers d’hiver dans le Sud. Avec Jimi, son chien-loup tchèque, il a quitté le pays d’Ardennes en s’accrochant à des trains de fret. Au mieux planqués sous des bâches. Ils ont eu froid, ont pris la flotte, redouté d’être découverts dans les gares de triage. Mais Rimbaud, toujours en manque de voyage, s’est enivré du vacarme et de la tempête de grand air de cette odyssée entre friches industrielles et nœuds ferroviaires. Il a serré très fort Jimi dans l’obscurité d’interminables tunnels. Il lui a dit qu’ils étaient des hobos, ces voyageurs clandestins des trains américains qu’il a découverts en lisant la Route de Jack London. Des copains lui aussi ont aussi raconté l’histoire des roads dogs, des mecs sillonnant l’Europe en passant les frontières clandestinement, à bord de trains de marchandise et dont la devise est «In the zone, under the radar and off the grid».

Rimbaud a attendu le bateau en dormant tout son saoul, sur la plage, la tête sur son vieux sac à dos Karrimor violet contenant tous ses biens du moment : un gros savon de Marseille, un sac de couchage, un paquet de riz, un tube de concentré de tomate, un autre d’harissa, un petit sac de sel, une bouteille d’huile d’olive, une gourde, son couteau de pêche, une boîte de Doliprane, des croquettes pour le chien au cas où il ne trouve pas de quoi becqueter dans la nature, quelques fringues, une serviette en nid d’abeille. Il a planqué ses sous dans sa ceinture portefeuille. Il a de quoi payer la traversée mais guère plus. Le grognement menaçant de Jimi l’a réveillé. En face de lui à bonne distance à cause du chien-loup tchèque, des cow-boys de la police municipale lui ont aboyé que les chiens étaient interdits de plage. Rimbaud s’en fout, c’est l’heure du bateau. Pour un peu, il remercierait ces condés d’opérette de l’avoir tiré de son profond sommeil.

Jimi a les deux pattes avant posées sur l’extrémité de la proue de la vedette. Il ressemble à un loup au sommet d’une crête. Fier et solitaire. Il se gave d’air marin, le museau vers le ciel et le poitrail gonflé. Les matelots ont beau goûter moyennement sa présence sur le bateau, le capitaine biche à la barre avec une telle figure de proue. Les yeux mi-clos, Rimbaud scrute l’or des rochers et le vert du maquis de l’île qui se rapprochent doucement tel un mirage posé sur l’onde bleue. Il n’aime l’eau qu’ici, loin des pluies froides du nord qui détrempent sa carcasse à longueur d’année. Rimbaud a l’impression d’avoir toujours vécu mouillé depuis son K-way de la cour de récré jusqu’à sa veste de combat M-43 sur le pavé glacé de la rue piétonne, les jours maigres de manche. Il s’allonge sur un banc du bateau pour contempler les manchons de ouate blanche des nuages qui s’étirent dans l’azur immobile.

Il est si serein qu’il ne voit pas venir l’accostage dans le port minuscule. Jimi trépigne de joie sur le pont avant de foncer sur la terre ferme et de japper comme un chiot en folie à la vue des chats roux ensauvagés qui prennent le soleil sur le toit de la capitainerie. Une main le salue depuis une terrasse. D’ici demain, tout le monde saura qu’il est là. Ici, il n’est pas le punk à chien mais simplement Jimi et son chien. On viendra lui demander un coup de main sur un chantier, remonter un mur de pierres sèches, restaurer une restanque ou une citerne d’eau de pluie, débroussailler un bout de jardin. Il aura quelques billets pour se nourrir, lui et Jimi, et aussi pour se prendre une mine les jours de grand vent.

Il est arrivé au bout de la corniche, là où il faut descendre un raidillon aux pierres incertaines qui embaume encore les herbes et les bois chauds de l’été. Jimi ouvre le chemin qu’il semble connaître depuis mille ans. Arrivé sur la terrasse, il se retourne vers Rimbaud qui ploie sous le poids de son sac à dos dans les derniers mètres de la descente avant de le poser enfin dans un long souffle de contentement. Le couchant orange la longue carcasse de la maison ouverte à tous les vents. Il n’y a personne mais on la dirait encore habitée. Du linge sèche pour l’éternité sous un filet de camouflage qui a dû protéger du soleil. Une sono abandonnée, une table encombrée de bouteilles, des vinyles en miettes témoignent des afters d’août. On a beaucoup graffé sur les murs. S’ils pouvaient parler, ils raconteraient l’histoire d’un ermite céleste qui longtemps habita frugalement ce vaisseau de béton au crépis d’ocre avec pour principale nourriture une bibliothèque cafie d’érudition. Les squatteurs qui lui ont succédé sont plus fugaces. Rimbaud sait qu’il aura la paix cet hiver quand il pose son sac à dos contre le vieux canapé défoncé installé sur une mezzanine. Il récupère sa nasse et sa boîte à pêche qu’il avait planquées l’hiver dernier dans le fouillis d’un cagibi.

C’est une pulsion plus forte que la fatigue causée par leur inconfortable voyage : il faut que Rimbaud et Jimi descendent jusqu’à la crique où les rochers fauves encore tièdes plongent dans une anse de bout du monde, couleur aigue-marine. L’homme et l’animal se mettent à l’eau sans hâte. Ils nagent côte à côte entre chien et loup. Jimi plante ses yeux dans ceux de Rimbaud comme s’il voulait lui dire «On est heureux hein ?» Il tient dans sa gueule la corde de la nasse tandis que Rimbaud scrute les fonds entre sable et rochers recouverts de leur chevelure d’algues pour trouver un lieu idoine pour poser sa nasse. Il fait quelques brasses, sort la tête de l’eau et ordonne : «Jimi lâche la corde maintenant.» La nasse dans laquelle il a placé du pain dur s’enfonce doucement dans les profondeurs. 

à suivre

En exclusivité, la nasse de Rimbaud (Photo F.C.)
 

 

 

 
 

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Publié le 28 Septembre 2020

Des recettes de Jacques Viale, dans cette petite brochure

RETOUR DE PÊCHE
La cuisine des pointus de la région hyèroise

ROM Editions - Nice - juillet  2006
 

 

 

 

 

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Rédigé par HODIE

Publié dans #Cuisine, #Ile du Levant, #Artistes-écrivains, #Sous l'eau, #La faune

Publié le 8 Juin 2020

Dans la Revue Naturiste Internationale,
on découvre une rubrique sur la Cuisine Naturiste :

Étonnant, non, le hérisson farci !
 

Coll. Syndicat d'Administration d'Héliopolis

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Rédigé par HODIE

Publié dans #Cuisine, #Revue NATURISME, #Levant insolite, #1956, #Naturisme