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Publié le 6 Mars 2022

Comme sur une île… ou l’art de magnifier ce que l’on a…
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » A.Lavoisier  -- de Jacky Durand -- Libération
لا يضيع شيء ، ولا يتم إنشاء شيء ، ويتحول كل شيء


Malgré la législation fournie et de nombreuses initiatives citoyennes, ce phénomène persiste en France. 
Il y a les mots gravés dans le marbre législatif mais surtout l’action inlassable des acteurs de la bataille contre la pauvreté et la précarité qui contribuent largement à lutter contre le passage aux ordures de denrées périssables.
Un exemple : depuis plus de trente-six ans, les Banques Alimentaires ont pour mot d’ordre la lutte contre le gaspillage alimentaire. Ainsi, 67% des approvisionnements proviennent de produits sauvés de la poubelle : outre la grande distribution, l’industrie agroalimentaire et les producteurs agricoles participent en donnant des articles présentant des défauts d’emballage ou d’étiquetage, des fruits et légumes mal calibrés ou des surplus.
Les restaurateurs ne sont pas en reste : la Tablée des chefs a d’abord vu le jour au Québec au début des années 2000 puis a migré en France en 2013 fort d’un constat accablant : lors des pince-fesses avec buffets garnis, 10% des canapés au saumon, petits fours et autres pizzas portions finissent à la poubelle. Elle s’est fixé deux objectifs : nourrir et éduquer. Concrètement, cela se traduit par la facilitation du don alimentaire par les entreprises, les professionnels de l’hôtellerie-restauration, lors d’événements où l’on guinche et où l’on mange. La Tablée des chefs réalise également des programmes d’enseignement culinaire et de sensibilisation à une alimentation saine, dans des collèges en réseau d’éducation prioritaire et des maisons d’enfants à caractère social.
Les chef⋅fe⋅s de demain sont mis à contribution puisque du 14 au 25 mars, 50 écoles de cuisine et lycées hôteliers cuisineront plus de 10 000 repas.
Allez, encore une belle initiative pour la route : depuis le premier confinement, des agriculteurs du Nord viennent vendre leurs pommes de terre en direct en banlieue parisienne. Cela a permis d’écouler les tonnes de tubercules qui ne trouvaient plus preneurs quand les restaurants et les cantines étaient fermés. A 6 euros le filet de 15 kilos, c’est la démonstration que les circuits courts peuvent satisfaire consommateurs et producteurs en luttant contre le gaspillage.

On pourrait ainsi multiplier l’évocation sur le sujet de centaines de projets, programmes, applications antigaspis pour mieux gérer son frigo. Mais reste une évidence incontournable : aujourd’hui, on estime que 17% de la production alimentaire mondiale est gaspillée (11% chez les consommateurs, 5% dans les services de restauration et 2% chez les détaillants). En France, sur l’ensemble de la chaîne de production, 10 millions de tonnes d’aliments sont jetées par an. Chacun de nous balance environ 50 kg de nourriture sur une année lors des repas à la maison, au restaurant ou à la cantine, soit l’équivalent d’une centaine de repas. Les lois sont évidemment nécessaires mais elles ne peuvent être efficaces que si le consommateur fait sa propre révolution dans ses cabas et devant ses fourneaux. Et c’est en regardant par le petit bout de la lorgnette que l’on constate que ce n’est pas si compliqué de lutter conte le gaspillage alimentaire.


A l’heure où l’on écrit ces lignes, nous voilà depuis une dizaine de jours sur une île à 15 kilomètres de la terre ferme. Une centaine d’habitants l’hiver et une épicerie ouverte trois heures, quatre jours par semaine, qui s’oriente de plus en plus vers la vente en vrac et le bio, sans emballage inutile. On y trouve le nécessaire, le gourmand mais sans opulence sachant que les prix sont majorés par le coup du transport maritime. Le jeudi, les habitué⋅e⋅s du marché de la côte prennent le bateau pour aller s’y ravitailler. Donc, il y a de quoi bouffer et même de gueuletonner à condition de s’organiser pour remplir la cambuse et organiser ses menus en recyclant jour après jour ses restes.
Mais le plus important est en soi : la possibilité d’une île vous oblige à booster votre logiciel antigaspi : ici, on ne jette pas l’eau de trempage des Lingots du Nord, on s’en sert pour arroser le petit carré d’herbes aromatiques sur la restanque. Car l’eau est d’autant plus rare qu’il a très peu plu cet hiver. On l’utilise pour les tâches ménagères (bicarbonate de soude et vinaigre blanc) et la toilette baptisée «la douche du légionnaire», soit 1,5 litre d’eau dans le lavabo. Quant au reste des haricots cuits, il passe dans la soupe du soir avec un fond de pot de pesto pour improviser un minestrone.
Si on vous cause fayots, c’est que l’on mesure plus que jamais ici l’évidence de l’association légumineuses (protéines végétales) et céréales (riz, boulgour, pâtes…) bonne pour la carcasse et la planète. Sans pour autant renoncer au filet mignon ramené de la côte avec les olives à la grecque, les câpres et les tomates séchées qui feront une délicieuse salade avec les reliquats de céréales.

Dans ce bout du monde, la confection du pain rythme les aubes. Sans doute que l’amateurisme du nôtre ferait se retourner le célèbre boulanger Lionel Poilâne (1945-2002) dans sa tombe, mais sa pâte sert à tout : pizzas, fougasses, chaussons garnis de restes de légumes, de viande… Et il est impensable de jeter le moindre quignon rassis que l’on grille au petit-déjeuner et sur lequel on étale, selon l’humeur, une lichette de beurre ou cet or levantin qu’est le zaatar (épice libanaise) avec un peu d’huile d’olive. Sur cette île où la terre est parcimonieuse (la moindre épluchure fait compost), sur la roche aussi dure que dorée, où le vent est pugnace, la lutte contre le gaspillage alimentaire est d’autant plus indispensable que l’on peut difficilement viser l’autonomie en cultivant ses propres légumes. Ce que n’empêche pas de tenter des expériences où là encore il est question de recyclage : on va ainsi essayer de faire pousser des haricots en semant leurs grains dans les tubes en cartons des rouleaux de PQ plantés dans la terre pour faciliter leur enracinement dans le sol. En attendant, on guette la pousse de l’ail triquètre sauvage qui fera un pesto d’enfer.

 

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