DANS L'ILE DES VENUS ET DES V2
par Jean-Albert FOEX
Suite et fin
NATURE ET LIBERTÉ
Notre postulat, pourrait être celui qu'a formulé Lewis Mumford dans son livre Technique et Civilisation (Editions du Seuil - Collection " La Cité prochaine ") :
" La conception mécanique du monde, qui apparut au XVIIe siècle, doit être remplacée par une autre conception rendant toute justice à la nature humaine. Pour sauver notre science et notre technique, nous devons d'abord sauver l'homme. "
La gymnosophie prévue par K. de Mongeot est déjà un moyen de sauver des hommes, de préserver leur qualité humaine. En ce sens, elle est un humanisme. De Cnossos à Olympie, d'Alexandrie à Eleusis, l'humanisme grec, méditerranéen, était gymnosophique. L'universalité de Rome fut militaire, économique, mais aussi gymnosophique. Réciproquement, la gymnosophie en soi est un humanisme ; l'histoire, la sociologie en fournissant abondamment les preuves documentaires.
" Dans le monde paléotechnique, écrit Mumford, les réalités étaient l'argent, les prix, le capital, les actions ; l'environnement, aussi bien que la vie humaine, était traité par une abstraction. L'air et le soleil, à cause leur déplorable manque de valeur d'échange, n'avaient pas de réalité. Andrew Ure était ébahi devant l'excellent physicien qui rapporta devant le Sadler's Factory Investigating Commission des expériences qui prouvaient que la lumière solaire est indispensable à la croissance des enfants, fait qu'il appuyait - un siècle avant qu'on ne reconnaisse par des preventoria les bienfaits du soleil - en faisant remarquer que les déformités et les troubles de la croissance fréquents dans les villes industrielles étaient ignorés des Mexicains et Péruviens régulièrement exposés au soleil. "
Moralité. - Il y a plus d'humanisme concret dans le socialisme des Incas que dans ceux des démocraties classiques, occidentales ou populaires, pour lesquelles l'air et le soleil manquent toujours de valeurs d'échange. Par contre, ne leur font jamais défaut l'intellectuel distingué qui écrira la 199ème mouture de la fameuse étude : Vers un nouvel humanisme, ou le mironton de bibliothèque qui auscultera l'homme révolté et se révoltera lui-même régulèrement à coup de stylo à bille. Tous les terribles et séditieux alcools distillés par ces bouilleurs de crus tournent en eau de boudin au premier coin de rue.
Notre humanisme gymnosophique ne consomme que très peu de mots - nous préférons une bonne douche d'eau douce à des flots de littérature - d'où le vif dépit des hommes de cabinet ; l'humanisme gymnosophique n'a pas besoin de mots pour s'identifier. Ils lui sont nécessaires seulement pour se défendre, pour mettre à la portée (et à l'abri) de chacun le corps d'une doctrine tirée non pas du néant philosophique ou du magasin des utopies mais de la réalité vécue.
A cet effort collectif de clarification peuvent faire obstacle l'individualisme très vivace dans notre mouvement et une fort sympathique tradition d'anarchie. Tout élargissement de notre influence lui reste pourtant subordonné. Je le répète et celui-ci ne saurait être mieux servi que par l'association de ces idées-fortes : nature et liberté.
ACCOUPLEMENT DES TENDANCES
L'arbre au pied duquel campe le naturiste ne doit pas lui cacher la forêt environnante. Les petites communautés émotionnelles naturistes ne sont pas grand-chose à l'échelle des réalités modernes. Elles témoignent d'une certaine révolte du vital et de l'organique contre tout ce qui est mécanique, elles attestent la résurgence générale de la vie (soin des enfants, culture du sexe, retour à la nature et amour du soleil), toutefois ce succès relatif du naturisme n'est qu'une très petite partie dans l'ensemble des modifications qui affectent la structure esthétique de la société et des relations sociales.
Lewis Mumford expose comment on pourrait comparer le monde mécanique à un jeu de dames, dans lequel des pièces identiques exécutent des mouvements similaires. " Le mode nouveau doit être représenté par un jeu d'échecs..." dans lequel chaque ordre de pièces a un statut différent, une valeur différente et une fonction différente ; jeu plus lent et plus exigeant...Car tous les aspects de l'ordre précédent (depuis les taudis où il logeait ses ouvriers jusqu'aux tours d'abstractions dans lesquelles il logeait les intellectuels) étaient de la auvaise construction, hâtivement assemblée en vue de profits immédiats, de succès pratique immédiat, sans tenir compte des conséquences plus lointaines. Dans l'avenir, ce n'est pas sur la vitesse et la conquête pratique immédiate qu'il conviendra de mettre l'accent, mais sur la plénitude, l'interrelation et l'intégration.
La gymosophie, non le naturisme, peut être une pièce importante de ce nouveau monde. Les naturistes en ont-ils conscience ?
Il semble que pour trop d'entre eux ne joue pas "la faculté d'accouplement des tendances" (Otto Flake). S'ouvrir aux émotions naturistes et vouloir nier ou ignorer tout le reste est une attitude fantaisiste qui réduit son adepte à l'état de funambule plus ou mois gras ou maigre. La tendance naturiste doit s'intégrer dans la gymnosophie, c'est-à-dire dans une synthèse intellectuelle plus complète. Cela implique une nouvelle orientation vers les questions touchant à la construction des communautés, la conduite des groupes, le développement des arts de communication et d'expression, l'éducation et l'hygiène de la personnalité. Une doctrine élargie du naturisme trouve là sa définitin, sa justification, son support social : elle devient gymnosophique.
VENUS ET V 2
A l'île du Levant, la Marine nationale a installé un centre d'expérimentation de projectiles radioguidés. Certains habitués de l'île ont vu là une offense ultramoderne à leurs penchants bibliques.
Ces protestations n'ont pas la moindre importance.. Elles ne changeront rien, elles prouvent un maque total de réalisme, elles émanent de naturistes ingénus (affligés du complexe de l'île déserte, d'un curieux esprit de petit-bourgeois rétrograde) qui gémissent vaguement sur les menaces des temps modernes sans jamais songer à se situer positivement en face de ces menaces.
Personnellement, les rampes de lancement ne me gênent pas plus que les engins de guerre de bataillons de la Grèce gymnosophique ; je trouve excitant pour l'esprit le voisinage des Vénus et des V 2. Que la Vénus naturiste puisse faire acte de présence dans l'équation du monde moderne me satisfait. Dressées contre le ciel, les rampes de lancement indiquent au gymnosophes qu'ils ne sont pas seuls au monde. Il est illusoire d'aller contre la technologie et la science, il faut les humaniser, il faut composer avec la réalité.
Au Levant, l’aumônier catholique a ses amis et ses fidèles, preuve de la compatibilité du spiritualisme chrétien et du naturisme. De la même façon, la science et le naturisme ne sont pas incompatibles ; l'erreur est de croire que la naturisme peut former de petites sociétés nouvelles alors qu'il n'est qu'un apport à la société possible, une pièce sur l'échiquier du monde nouveau. Gardons-nous de nous éloigner du réel, gardons nos pieds nus sur terre si nous voulons efficacement défendre la part de la nature et de la liberté, la part de Vénus et d'Apollon en face de Vulcain.