"Au nid d’aigle des Barbares à la pointe du Castelas dans l’île du Levant"

Publié le 10 Novembre 2020

En 1931, lorsque les Dr Durville achètent un bout de l'île du Levant et louent à l'Etat le reste de l'île, un lieu particulier au nord de l'île fait fantasmer les résidents, c'est le Castelas. Pour tous, c'est une ancienne forteresse barbaresque situé au dessus de la pointe du même nom, dont les ruines sont très visibles (même aujourd'hui). Auguste Piguet, professeur et historien suisse, rédige même une monographie* à son sujet suite à un séjour au printemps 1936. Il y décrit précisément les vestiges avec photos et plans aidé par son gendre, Alfred Reymond, gérant du Bazar.

Une expédition est organisée au printemps 1931 par les Dr Durville qui pensaient y trouver le trésor des Barbaresques. Elle est décrite dans la revue NATURISME n°148 du 23 avril 1931** : "Au nid d’aigle des Barbares à la pointe du Castellas dans l’île du Levant" par le Dr Gaston Durville.
extrait ci-dessous

Des fouilles ont été entreprises de 1967 à 1971 donnant lieu à plusieurs publications. (liste et extraits à suivre). Cela a été sans doute un site médiéval abritant un monastère au XIIIe. Les barbaresques l'ont sans doute occupé...
 

* Petite monographie du "Castelas" Ile du Levant éditée par l'auteur 
**Collection reliée AJM 

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-    Où donc se trouvent les ruines du Castelas ? interroge le jeune Caron.
-    Loin d’ici, à l’est, vers la Vierge, répond Bernier, et en tournant ensuite à gauche, face aux palmiers chamérops du Jardin d’Acclimatation : malheureusement, la route qui y mènera est commencée d’hier ; elle se perd dans un maquis à peu près impénétrable ; on risque de s’égarer et de se taillader les corps aux bruyères centenaires. Il vaut mieux aller au Castelas par mer. On pourrait, pour y accéder, fréter deux bateaux. Le panorama est unique ; c’est le plus imposant de toute la Riviera ; c’est peut-être le plus beau de l’île du Levant. Des ruines existent là, auxquelles personne n’a jamais touché. Au Lavandou, on parle de ruines, d’oubliettes inexplorées, de galeries, de tranchées, de souterrains mystérieux. Barberousse précédemment, aurait enfoui au Castelas son trésor.
-    Si l’on grimpait demain au Castelas, s’écrie André Durville. On va se munir de cordes, de pelles, de pioches, et, lundi de Pâques ceux de nous qui n’ont pas le vertige s’en iront au repaire des Barbares !...
-    Hurrah pour le repaire des Barbares crie le chœur des naturistes. Et seize « volontaires » se proposent.
Le lundi de Pâques, dès l’aube, Bastier du Vignaud fouillait le magasin à outils, pour rassembler outils et cordages, et faisait préparer des vivres pour tout un jour. Le camp des tentes s’éveillait.
-    Je ne peux vraiment pas, vêtue en femme grimper au nid d’aigle, criait Clara Mille, surgissant hors des toiles, humides de rosée, sa tête gentiment ébouriffée.
Du Vignaud tendit vers l’embrasure un pantalon de cotte bleue.
-    Ai-je l’air d’un vrai terrassier dit en souriant la campeuse
On mordait dans une pomme, pour déjeuner. On fixait à la ceinture le lainage de supplément qui parerait – sait-on jamais ! – à un mistral éventuel. On vérifiait le bon état des sandales à semelles de corde qui allaient permettre de gravir sans glisser les rochers quasi verticaux.
La charrette, traînée par une mule aimable et brune, premier moyen de transport de l’Ile du Levant, s’ébranla ; la caravane suivit, à pied, joyeuse, vers le port du Grand-Avis
Récemment débroussée de ses cistes, la descente à l’Avis est charmante : des quartz très blancs roulent sous les pieds, des micas en paillettes renvoient le soleil, comme des purs diamants.
Deux bateaux à moteur nous attendaient en bas. Un seul moteur ronflait. Pegliasco – c’est le pêcheur – sa casquette sur l’oreille, soufflait dans le gicleur d’un des carburateurs, lequel, ayant reçu un paquet de mer, se refusait à laisser s’écouler l’essence. Pendant que le moteur faisait toilette, nous nous chauffâmes, au clair soleil, sur la jetée. Elle est délicieusement rustique, la jetée de bois de l’anse du Grand-Avis. Elle ne permet pas l’accostage des cuirassés, bien sûr, mais c’est mieux. Et l’eau est si merveilleusement transparente partout qu’on aperçoit sur le fond de rocaille, paresser les étoiles de mer et les oursins. Des sortes de cornets vivants, animaux ou plantes, que sais-je ! Se balancent  élégamment parmi les algues vertes ; paysage océanique !...
Pégliasco rompit, d’un coup de conque marine, nos rêveries entomologiques et botaniques ; les deux moteurs étaient prêts.
On passa au large du Petit-Avis, délicieuse plage de sable fin enfouie sous les pins maritimes, les oliviers et les bruyères : des naturistes, en slip, se doraient le dos au soleil, en faisant la toilette à table. On franchit ensuite, sur trois kilomètres environ, toute une dentelle de roches brunes, plus échancrées, les unes que les autres, et où n’habitent que lapins et oiseaux de mer. Il semble que quelques Titan ait saisi et tordu ces roches, pour les retourner. Si on les regarde de près, on voit que les parois obliques sont parmi les plus anciennes du monde ; elles appartiennent au plissement hersinique, le même qui constituent les montagnes des Maures, sur la côte. A ces rochers, nous abordons.
Quel «  à pic » au-dessus de nos têtes ! C’est là qu’il va falloir monter. Aucun sentier, aucune trace humaine. Pélissier débarque outils et victuailles ; chacun, selon sa force, charge son dos, et en route vers une nuée de goélands qui, très haut, tournoie en poussant des cris plaintifs d’enfants ?
Du Vignaud et André Durville, qui se souciaient beaucoup plus des Barbares, du trésor et des oubliettes que du gros de la caravane, arrivèrent les premiers en haut. Pendant que les autres étaient encore à chercher des points sûrs pour accrocher leurs pieds, eux avaient mis bas les vêtements, et, déjà, ils frappaient de la pioche.
-    J’ai découvert un affleurement de muraille, s’écria du Vignaud.
-    Ici, je crois avoir une voûte, ajouta André Durville.
Le jeune de Noircame, qui venant d’arriver, frappait le sol du manche de sa pelle, en déclarant :
-    Ça sonne creux ; une salle doit être là-dessous…
On attaqua l’ouvrage. Du Vignaud, à lui seul, creusa une tranchée profonde ; bientôt, il y disparaissait tout entier. André Durville en voulait à la voûte : il piochait sans répit. Clara Mille exténuait ses athlétiques épaules à rejeter le plus loin possible la terre que les pioches lui envoyaient en cascades.
-    Où diable sont passés mesdames André et Gaston Durville et Pierre Obradovitch ? demanda tout à coup quelqu’un.
Renseignements pris, ils prenaient un bain de soleil parmi les romarins, les genévriers, les cyprès.
-    Moi, j’ai une tour carrée, m’écriai-je.
Mon frère accourut et sonda :
-    Cela doit être creux, ici…Il doit y avoir un plafond…Creusez !...


Je creusai, je suai ; de Noircarme, Pélissier, Jacques Durville creusèrent et suèrent. Et le plafond se découvrit. On y perça un trou : dessous, c’était le roc. Ce n’était pas un plafond, c’était une terrasse ? De cette terrasse, quelle vue !! Toute la côte des Maures apparaissait au loin, et l’Estérel…
Décidément, les pirates de la Méditerranée avaient bien choisi leur repaire.
-    Nous ne trouvons pas souvent le trésor de Barberousse, s’écria André Durville. Mais nous avons un mur, une tour, une terrasse, une voûte ; nos efforts n’ont pas été vains. Si maintenant, on pensait à manger ?...
La proposition fut accueillie avec joie : nous posâmes les outils et nous nous regardâmes ; nos corps, qui avaient, pendant trois grandes heures baigné dans la chaude lumière, avaient foncé d’un ton ; nos épaules, nos fronts étincelaient d’huile. Nous débordions de santé et de joie.
A Paris, pendant ce même temps, il pleuvotait, et le thermomètre marquait six degrés…
Obradovitch, très long, distingué, très cuit, courut chercher, sous un genévrier, les paniers de vivres, et installa le couvert. Pendant qu’on déballait les assiettes :
-    Que peuvent bien avoir ces goélands, demanda du Vignaud, à piailler toujours sur nos têtes ?
-    - Peut-être les empêchons-nous de venir à leur nid ? suggéra de Noircarme.
Alors, on fouilla les fourrés, au bord de chacun d’eux, par terre, et orientés de telle sorte que le soleil leur arrivât toujours, nous comptâmes douze nids, et dans chacun, deux ou trois œufs, plus gros que les œufs de poule. L’idée ne vint à personne de ramasser ces œufs, pour faire une omelette : laissons aux mères leurs enfants, c’est une idée très naturiste.
Le dessert n’était pas servi qu’André Durville avait disparu : il explorait de nouveaux lieus…
Allo ! Venez !... s’écria-t-il soudain. Je suis dans une oubliette !
Nous allâmes d’où venait l’appel. Un gouffre s’offrait devant nous, à pic, au fond duquel roulait la mer verte. André devait être par-là, mais par où était-il descendu ? Un sentier large de cinquante centimètres s’engageait vers l’à pic ; je descendis ; mais bientôt l’étroit chemin s’interrompait, et, sur la muraille verticale, il ne restait, pour tout passage, que juste la place d’un pied en biais. J’allais revenir en arrière quand mon frère confirma son appel :
-    Avance d’un mètre encore, et tu es dans l’oubliette !
J’avançai. Au-dessus de nos têtes, à cinq mètres, une voûte de pierres très anciennes, faites de pierres importées, calcaires oolithiques très beaux ; au centre de cette voûte, une dalle percée d’un orifice carré ; c’est par là que les Barbares se débarrassaient des personnages encombrants.
Quand le soleil baissa vers l’ouest, inondant Toulon d’une flamme rouge, nous songeâmes à redescendre.
Pégliasco soufflait éperdument dans sa conque, pour nous inviter à rentrer au port avant la nuit. Chacun mit sur son dos son outil, et l’on descendit vers la mer. Les goélands saluèrent notre départ en décrivant de grands cercles planés sur les cimes. A peine avions-nous quitté nos ruines qu’ils s’abattaient sur leurs œufs.
…Nous n’avions pas trouvé le trésor de Barberousse, mais nous avions vécu un beau jour.


Docteur Gaston DURVILLE
 


 

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