PHILA III : Magagnol 1/2

Publié le 20 Janvier 2020

Extrait du carnet manuscrit Fila III d'Auguste PIGUET de 1936, confiés par Pierre-André Reymond, son petit-fils.

Auguste Piguet est au Phare du Titan ce samedi 13 juin 1936...

   On mangera la bouillabaisse à dîner. Assisté aux opérations culinaires assez compliquée et qui se font en plein air sur un foyer spécial aux grosses pierres muni d’un support pour la grosse marmite. C’est M. Magagnol qui préside aux rites. On met dans la marmite des poissons de diverses espèces, des rascas, des girelles, des escargots de mer dits bigorneaux, du safran, de la sarriette, de l’oignon, de l’ail, des pommes de terre, de l’huile en abondance et des poignées de poivre. La marmite doit rester découverte. Le mélange prend une belle couleur dorée. On le chauffe d’abord avec de grosses branches de bruyères, puis lorsqu’il bout, avec de mêmes branches fendues bien sèches. Ça frille. Ce feu vif dure ¼ d’heure.

 

Mme et M. Magagnol
Extrait photo de Pierre Audebert - NATURISME n°350 de 1935

   Mme Magagnol, consultée prend la louche, goûte et ordonne encore 5 minutes. Le brouet est à point. On verse le bouillon sur des tranches de pain dans une soupière et les pommes de terre et les poissons dans un plat allongé. Nous ne sommes que trois et il y en aurait pour six. Je me vois ainsi moralement forcé à manger plus que de raison. Ce sera un peu lourd à digérer. Puis vient une omelette aux tétragones, ensuite des amandes, des poires, des oranges et finalement le café. Le patron pousse à la consommation et comme dans le bon vieux temps.

  Causons jusqu’à 4 h comme de vieux amis tout en sirotant nos verres. Les Magagnol se prétendent seuls provençaux authentiques de l’île. Pégliasco père qui vient de Menton, n’est pas provençal, mais demi-italien. Sa femme non plus. Elle vient du Gard. Les enfants par contre, sont en train de devenir provençaux. Mais, lui dis-je, il y a pourtant Victor, qui vient de Fréjus. Magagnol le croit, lui aussi d’origine italienne, vu que son nom, Bagnasco, se termine par O. Le provençal dirait Bagnasque ou Bagnasc comme tarrasque et non tarrasco. Il y a trente ans, la bonne moitié de Marseille parlait encore son dialecte qui n’est pas le pur provençal de Provence.
   Le provençal de Mistral n’est pas non plus la langue commune provençale mais le dialecte assez différent d’Arles, situé en dehors des anciennes limites de la Provence. Tout ce qui est Alpes Maritimes est aussi en dehors de ce cadre.
  M. Magagnol, qui est des Arcs, à 6 km de Draguignan est convaincu que le Var coule encore dans le département du même nom. Je n’arrive pas à le détromper. Il ne veut pas croire non plus que ledit Var soit un simple affluent de l’Argens, petit fleuve côtier. Ses ancêtres s’appelaient Magagnosc du nom du hameau dont ils étaient originaires. Ce fut un officier d’état civil qui estropia le nom. Il aurait fallu payer un million de francs de frais pour obtenir le rétablissement de la forme correcte. Notre homme avait l’occasion de dépenser cette somme plus utilement. Il a fait inscrire son fils unique sous le nom de Magagnol pour éviter des complications de succession.
Le provençal se parle avec une telle rapidité qu’on ne peut saisir un mot que par-ci par-là. Quelques phrases répétées lentement me sont assez compréhensibles : Que venguès à tastar / Les finales muettes tombent ce qui rend la langue peu harmonieuse, incomparablement moins sonore que l’italien.


   

Rédigé par HODIE

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