Identité·s levantin·e·s ?

Publié le 16 Août 2020

Un psychanalyste de passage au Levant : Vincent Bourseul
Textes disponibles sur http://vincentbourseul.fr/cahiers-levantins/

Identité·s levantin·e·s ?
Chose scandaleuse d’écrire seulement le mot « identité » à propos du Levant ; provocation et mensonge, pour essayer d’attraper un morceau du monstre immonde qui se promène à l’ombre du maquis, et qui navigue aussi entre le continent et l’archipel.
Le Levant n’est pas un territoire ordinaire, « ni une ville ou un village, non pas une agglomération […], mais une cité rustique […], où se reposer des fatigues de la civilisation artificielle des villes […] » (29 juin 1932, cahier des charges du Syndicat d’Administration d’Héliopolis).
Ce lieu, sans territorialité ordinaire, n’a pas non plus d’identité au sens ordinaire.
Peut-être bien plus une visée farouche de dépasser l’identité, quelle qu’elle soit, sociale, culturelle, sexuelle, etc. – Y ajouterait-on ethnique, genrée ?
Édouard Glissant, poète des Caraïbes (autres Îles) et pirate des identités a soutenu le long de son œuvre le dépassement du métissage pour lui préférer la « créolisation », seule capable d’empêcher que ne se stabilise « l’identité créole » tueuse de créolité en marche. Pour lui, le seul mélange ne suffit pas, il plombe ; l’hybridation permanente, elle, féconde. À condition, toutefois, de ne pas s’accrocher trop fort au « foyer imaginaire » qu’est l’identité, selon l’idée de Lévi-Strauss, dont nul ne fait jamais l’expérience, au final – dont il savait le risque d’aboutissement dans la « solution finale ».
À l’évidence, les identités ne sont plus aujourd’hui ce par quoi nous nous reconnaissons sous les traits de la cohérence. Elles sont devenues des surfaces troubles, des objets de convoitises ou de polémiques. Comme des petits territoires, des propriétés virtuelles ; pas sans effets réels, ni drames. Les identités minoritaires se battent, évidemment ; celles majoritaires tiennent les comptent ou documentent, inquiètes. En avons-nous besoin, ici ?
Des questions rôdent, ces jours-ci, et ressemblent à celle d’antan… Combien sont-ils·elles ? Que font-ils·elles ? N’est-ce pas excessif ? Trop bruyant ? Trop visible ?
La discrétion est de règle, dans ce lieu levantin – comme la nudité en certains endroits (sic) –, pour le respect de la vie des autres, quel·le·s qu’ils·elles soient, levantin·e d’un jour ou de toujours, sans hiérarchie de légitimité ou d’autorité.
Sans cela, sans cette précaution et cette promesse d’Héliopolis, le Levant serait une Famille et défendrait l’illusion familiale – dont nous savons les pires effets – pour structurer la vie, et perpétrer le massacre des villes ordinaires où la vie se découpe en foyers, en propriétés, en contraintes, en bons droits et mauvais comportements. Une famille ordinaire où chacun peut se mêler de ce qui se passe dans l’assiette ou la culotte de son voisin, pour dire si cela convient ou non !?
Le Levant serait une famille faite de ceux.celles qui savent et/contre ceux·celles qui sont ignorant·e·s ? Les bons et les mauvais ? Les méritant·e·s et les inutiles ?
Pourquoi pas une famille avec un père tant qu’on y est, en oubliant, un peu vite, que le Levant fut fondé, justement, par des frères… en 1931, pas n’importe quand.
L’histoire du Levant porte bien au cœur de sa terre, de son maquis, les traces des excès d’ordre de l’idéal familial dont ont été extraits et condamnés au pire les enfants détenus ici pour mauvais comportements, à l’époque de la colonie pénitentiaire pour enfants. Depuis, le Levant, c’est différent.
C’était il y a longtemps ? Pas tant que ça. C’est encore, aujourd’hui, ce que questionne le Levant chez celles et ceux qui l’habitent, pour une journée, à l’année. C’est sur cette question que le Levant nous interpelle, toutes et tous, qu’on veuille ou non le savoir.
Problème, les questions sont parfois difficiles à supporter. Trouver des réponses rapides et efficaces en apparence peut être préféré au dialogue, aux paroles échangées, aux remises en cause individuelles. Par facilité, ou excès de zèle.
Punir, frapper, gronder, empêcher sont les mamelles de ce genre d’éducation nauséabonde.
S’interroger est pourtant, semble-t-il, la seule manière de ne pas sombrer dans les ragots, les mises au banc, les incompréhensions puériles, les dénonciations abjectes, et les mises en danger ou pire, les excès d’autorité et de surveillance.
Alors, à qui veut défendre « l’identité du Levant » ou « le Levant d’avant» (qui se conjugue toujours au singulier dans ce cas) – habitant, touriste, commerçant, détenteur de l’autorité publique, élu –, se posent ces questions : à quel fantasme morbide es-tu accroché·e ? Ne vois-tu pas que tu t’aveugles et risques d’écraser les herbes folles dont cette terre au milieu de la « mer entre les terres » tient la beauté ?
Parlons-nous-en, aimablement, à nu·e·s… frères et sœurs sans père, laissons-nous vivre dans cette joyeuse bande bigarrée et interlope, chaque jour changeante, chaque saison tournée vers l’à venir… pour les suivant·e·s ; puisque la vie passe.
Partageons l’histoire, nos peurs et nos espoirs. Pas les coups, l’opprobre ou le sang.
Pour chérir l’infinie levantisation, plurielle de toutes et tous.
Un levantin de l'été, 3 août 2020.
Héliopolis, Mer Méditerranée.

 

Rédigé par HODIE

Publié dans #Ile du Levant, #Artistes-écrivains

Commenter cet article